Søren Ulrik Thomsen, Les arbres ne rêvent sans doute pas de moi

Derrière les arbres du titre se cache une fabuleuse forêt poétique. Son créateur, Søren Ulrik Thomsen (né en 1956), figure majeure du modernisme danois (on appelle ses représentants « Nouveaux Lyriques »), auteur de plusieurs  recueils de poésie et d’essais, n’a jusqu’ici jamais été publié en France.  Cette lacune est désormais comblée et le lecteur français peut accéder à l’œuvre poétique où modernité et tradition se mêlent subtilement. C’est une poésie urbaine, une poésie de solitude, d’observation et d’introspection, où l’acuité du regard le dispute à la finesse de l’ouïe. Une poésie où chaque vers en apparence anondin peut à tout instant se transcender et s’ouvrir sur l’infini. Portés par de subtiles variations rythmiques, par l’exactitude et la fraîcheur des images, ces poèmes envoûtent le lecteur et l’entrainent vers des horizons de plus en plus lointains. Ce côté rhapsodique est remarquablement rendu dans la belle traduction de Pierre Grioux, une véritable « réincarnation poétique », comme permet de le constater cette belle édition bilingue.

Les arbres ne rêvent sans doute pas de moi (Samlede Thomsen), de Søren Ulrik Thomsen, traduit du danois par Pierre Grioux, Cheyne, 144 p., 23 €.

Roman Sentchine, La Zone d’inondation

En Russie, on ne lésine pas sur l’espace. Inonder un territoire de 1500 km2 pour construire une centrale électrique sur un fleuve sibérien? Evacuer des dizaines de villages, déplacer des milliers de personnes ? Qu’à cela ne tienne. Et malheur à celui qui ose défier l’Etat et sa pieuvre bureaucratique.

Roman Sentchine (né en 1971) raconte l’histoire d’un de ces drames vue à travers le destin de quelques habitants d’un village condamné à disparaître sous les eaux. Il reprend ainsi le flambeau de la « prose paysanne », courant écologiste avant la lettre, né au cours du dégel des années 60. A l’instar de ses célèbres prédécesseurs, Valentin Raspoutine (1937-2015) et Vassili Choukchine (1929-1974), il dépeint avec un réalisme minutieux, quasi ethnographique, le quotidien laborieux des petites gens, paysans pour la plupart. Les voici sommés de vider les lieux, car les oligarques locaux ont exhumé le projet – resté en veilleuse depuis des années – d’une centrale sur l’Angara. Ecrasés par le malheur depuis longtemps redouté et désormais inévitable, les personnages sont comme paralysés. La cohésion sociale n’est plus qu’un mot creux, les liens se brisent, les familles se disloquent. Les gens ne désirent qu’une chose : qu’on les laisse mourir sur la terre de leurs ancêtres. Leur vœu ne sera pas exaucé.

La Zone d’inondation (Zona zatoplenia), de Roman Sentchine, traduit du russe par Maud Mabillard, Noir sur Blanc, 360 p., 22 €.