En Russie, on ne lésine pas sur l’espace. Inonder un territoire de 1500 km2 pour construire une centrale électrique sur un fleuve sibérien? Evacuer des dizaines de villages, déplacer des milliers de personnes ? Qu’à cela ne tienne. Et malheur à celui qui ose défier l’Etat et sa pieuvre bureaucratique.
Roman Sentchine (né en 1971) raconte l’histoire d’un de ces drames vue à travers le destin de quelques habitants d’un village condamné à disparaître sous les eaux. Il reprend ainsi le flambeau de la « prose paysanne », courant écologiste avant la lettre, né au cours du dégel des années 60. A l’instar de ses célèbres prédécesseurs, Valentin Raspoutine (1937-2015) et Vassili Choukchine (1929-1974), il dépeint avec un réalisme minutieux, quasi ethnographique, le quotidien laborieux des petites gens, paysans pour la plupart. Les voici sommés de vider les lieux, car les oligarques locaux ont exhumé le projet – resté en veilleuse depuis des années – d’une centrale sur l’Angara. Ecrasés par le malheur depuis longtemps redouté et désormais inévitable, les personnages sont comme paralysés. La cohésion sociale n’est plus qu’un mot creux, les liens se brisent, les familles se disloquent. Les gens ne désirent qu’une chose : qu’on les laisse mourir sur la terre de leurs ancêtres. Leur vœu ne sera pas exaucé.
La Zone d’inondation (Zona zatoplenia), de Roman Sentchine, traduit du russe par Maud Mabillard, Noir sur Blanc, 360 p., 22 €.